Un prophète

Un prophète
Titre original:Un prophète
Réalisateur:Jacques Audiard
Sortie:Cinéma
Durée:155 minutes
Date:26 août 2009
Note:
Condamné à six ans de prison ferme pour avoir agressé un policier à l'arme blanche, le jeune Malik El Djebena est vite repéré par l'influent groupe de la mafia corse à la Centrale. Isolé et par conséquent sans protection, le nouveau détenu est une proie facile à faire chanter pour assassiner un élément indésirable, le traître Reyeb, dans un bloc auquel les Corses n'ont que difficilement accès. Après s'être acquitté de cette épreuve, Malik devient lentement l'homme à tout faire du puissant chef de gang corse César Luciani. Il apprend à lire et à se servir de ce qu'il voit et entend pour monter son propre business, en prison et à l'extérieur.

Critique de Tootpadu

Récompensé au dernier festival de Cannes par le Grand prix du jury, à défaut de décrocher la Palme d'or, et précédé d'un bouche-à-oreille extrêmement positif, le cinquième film de Jacques Audiard nous a certes séduits, mais pas enthousiasmés au point qu'on l'anticipait. Il s'agit d'un film dense et intense, qui ne reflète sans doute pas fidèlement la vie quotidienne dans les prisons françaises surpeuplées. Au lieu de coller à la triste réalité pénitentiaire, le réalisateur prend la liberté artistique de conter l'histoire moralement ambiguë d'un petit criminel, qui devient un manipulateur habile des forces qui l'écraseraient autrement. Notre réserve envers Un prophète ne provient pas tellement de l'opportunisme réfléchi du protagoniste, mais de quelques partis pris de la narration, qui détournent inutilement le récit de la voie de l'efficacité.
La prison selon Jacques Audiard, c'est un microcosme dans lequel les forces de l'ordre jouent au mieux un rôle accessoire. La véritable confrontation a lieu au niveau du trafic d'influences et de l'appartenance au gang le plus apte à garantir une sécurité physique et mentale. La guerre qui gronde entre les hauts murs est celle de la continuation de la lutte pour les parts de marché du commerce parallèle à l'extérieur. L'incarcération n'est alors qu'un désagrément plus ou moins limité dans le temps et l'espace, qui ne revêt aucun bienfait de réhabilitation. Au contraire, plutôt que d'oeuvrer à sa réinsertion, Malik s'enfonce de plus en plus dans des affaires louches, qui dépassent largement son crime initial. Ce ne sont donc pas les clichés habituels du monde carcéral, comme la promiscuité et la violence omniprésente, qui risquent de saper son intégrité toute relative, mais la force de séduction d'un équilibre de pouvoir entre bandes, dont il apprend aisément les rouages et les ficelles.
En même temps, le personnage principal est investi d'une conscience en pleine évolution. Peureux et peu sûr de lui au début, il acquiert une sagesse de survie dans un contexte social particulièrement précaire, au fur et à mesure que des opportunités se présentent à lui. La présence fantastique de la faute qui a tout déclenché, lui sert en quelque sorte de compas moral dans un environnement hostile, qu'il ne maîtrisera jamais entièrement. Dans sa découverte de l'univers du crime organisé, il passe ainsi du chaud au froid, de l'enivrement du premier vol en avion ou de l'argent sale gagné facilement, au réveil brutal ammené par la prise de conscience qu'il n'est pas le premier à vouloir faire fortune à la va-vite (la concurrence avec Latif) et qu'il n'est malgré tout pas au dessus de son statut de pion, dans le grand jeu des calculs sans âme des parrains de tous bords.
Visiblement, le scénario du film regorge d'implications morales et globalement sociales, traitées avec intelligence et inventivité. Notre grief envers Un prophète se trouve davantage du côté de la mise en scène qui, malgré toute son efficacité, ne peut pas s'empêcher d'alourdir le récit déjà épique avec quelques motifs disparates. En plus du retour périodique de Reyeb, les titres en guise de chapitres arbitraires et le procédé visuel que le réalisateur appelle "la main noire" sont autant de dispositifs formels, qui encombrent artificiellement un récit autrement prenant.
Enfin, les véritables morceaux de bravoure du film sont les interprétations de Tahar Rahim et de Niels Arestrup. Autant ce dernier campe un vieux chef de gang redoutable et imprévisible, autant l'interprète de Malik peut déjà préparer son discours pour accepter le César du Meilleur espoir masculin, voire plus. Rarement le dilemme entre la peur viscérale pour sa survie et l'orchestration réfléchie d'une tactique pour s'en sortir, coûte que coûte, avec les meilleures cartes en main a été joué avec une telle finesse et crédibilité. Espérons que ce n'est pas la subtile apologie du crime qui sous-tend le film qui va ériger Malik en héros pour les jeunes - et surtout ceux en manque d'idoles issues de leurs propres rangs -, mais l'interprétation marquante de Tahar Rahim !

Vu le 23 juin 2009, à l'Elysées Biarritz

Note de Tootpadu: